Inciter ses collègues à rejoindre un mouvement de grève national: Est-ce une faute ?

13 Mar 2023 | Actu Disney

Le mois de mars s’annonce comme une période qui sera marquée par les arrêts de travail liés à la contestation du projet de réforme des retraites actuellement en discussion au parlement.
Les principales organisations syndicales, tous secteurs confondus, appellent à la grève le 7 mars avec la promesse d’un blocage du pays le jour dit et certaines d’entre elles, annoncent un mouvement qui pourrait s’inscrire dans la durée en évoquant une grève reconductible.
L’objectif fixé est celui de paralyser l’activité de façon générale et tout particulièrement dans le secteur des transports, de l’éducation, des énergies et peut-être de la collecte des déchets…
Dans les entreprises, et au-delà de ces seuls secteurs d’activité, ces mots d’ordre sont et seront relayés par les représentants de ces organisations, délégués syndicaux et représentants de section syndicale, mais également par certains élus du personnel.
Ce faisant, et quel que soit leur mandat, ceux-ci sont dans leur rôle.
Mais il est également possible qu’un 𝑠𝑎𝑙𝑎𝑟𝑖𝑒́ 𝑑𝑖𝑡 « 𝑜𝑟𝑑𝑖𝑛𝑎𝑖𝑟𝑒 », c’est-à-dire non-détenteur d’un mandat syndical ou de représentation du personnel, militant ou non, relate indirectement ce même mot d’ordre 𝑒𝑛 𝑖𝑛𝑐𝑖𝑡𝑎𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑎𝑢𝑡𝑟𝑒𝑠 𝑚𝑒𝑚𝑏𝑟𝑒𝑠 𝑑𝑢 𝑝𝑒𝑟𝑠𝑜𝑛𝑛𝑒𝑙 𝑎̀ 𝑠𝑒 𝑗𝑜𝑖𝑛𝑑𝑟𝑒 𝑎𝑢 𝑚𝑜𝑢𝑣𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 et à cesser le travail lors des journées d’action qui auront été décidées sur le plan national.
Quelle attitude adopter à son égard ?
🔵 𝐑𝐄́𝐏𝐎𝐍𝐃𝐑𝐄 𝐀̀ 𝐔𝐍 𝐌𝐎𝐓 𝐃’𝐎𝐑𝐃𝐑𝐄 𝐍𝐀𝐓𝐈𝐎𝐍𝐀𝐋:
𝐄𝐗𝐄𝐑𝐂𝐈𝐂𝐄 𝐑𝐄́𝐆𝐔𝐋𝐈𝐄𝐑 𝐃𝐔 𝐃𝐑𝐎𝐈𝐓 𝐃𝐄 𝐆𝐑𝐄̀𝐕𝐄 ?
Précisons tout d’abord que le fait de participer à un mouvement motivé par des revendications sur lesquelles l’employeur n’a aucun pouvoir décisionnaire et donc aucune capacité à les satisfaire, 𝑛𝑒 𝑑𝑒́𝑞𝑢𝑎𝑙𝑖𝑓𝑖𝑒 𝑝𝑎𝑠 𝑙𝑎 𝑔𝑟𝑒̀𝑣𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑒 𝑙𝑖𝑐𝑖𝑡𝑒, comme l’a rappelé la Cour de cassation par 𝗎𝗇 𝖺𝗋𝗋𝖾̂𝗍 𝖽𝗎 𝟤𝟥 𝗈𝖼𝗍𝗈𝖻𝗋𝖾 𝟤𝟢𝟢𝟩.
Plus précisément sur la question d’un projet de loi portant sur les retraites, la Cour de cassation a clairement indiqué en 2006 que la cessation du travail afin de soutenir un mot d’ordre national pour la défense des retraites, qui constitue une revendication à caractère professionnel, relève bien de l’exercice du droit de grève.
🔵 𝐐𝐔𝐄 𝐅𝐀𝐈𝐑𝐄 𝐅𝐀𝐂𝐄 𝐀̀ 𝐔𝐍 𝐒𝐀𝐋𝐀𝐑𝐈𝐄́ 𝐐𝐔𝐈 𝐈𝐍𝐂𝐈𝐓𝐄 𝐒𝐄𝐒 𝐂𝐎𝐋𝐋𝐄̀𝐆𝐔𝐄𝐒 𝐀̀ 𝐑𝐄𝐉𝐎𝐈𝐍𝐃𝐑𝐄 𝐋𝐄 𝐌𝐎𝐔𝐕𝐄𝐌𝐄𝐍𝐓?
On le sait, l’article L. 2511-1 du code du travail accorde une protection contre le licenciement aux salariés grévistes en disposant que « l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié » et précise que « tout licenciement prononcé en l’absence de faute lourde est nul de plein droit ».
Aucune disposition ne concerne les salariés appelant à participer à un conflit collectif interne à l’entreprise ou à rejoindre un mouvement national.
𝑃𝑎𝑠 𝑑𝑒 𝑑𝑖𝑓𝑓𝑖𝑐𝑢𝑙𝑡𝑒́ 𝑏𝑖𝑒𝑛 𝑠𝑢̂𝑟 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑢𝑛 𝑠𝑎𝑙𝑎𝑟𝑖𝑒́ 𝑡𝑖𝑡𝑢𝑙𝑎𝑖𝑟𝑒 𝑑’𝑢𝑛 𝑚𝑎𝑛𝑑𝑎𝑡. Au-delà du fait qu’un représentant syndical ou un représentant du personnel ne pourrait se voir reprocher une position qui relève plus ou moins directement de sa mission selon son mandat, ces derniers bénéficient d’une protection qui les placent à l’abri de toute mesure de licenciement.
A contrario, et en l’absence de texte spécifique, peut-on considérer que le fait 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑢𝑛 𝑠𝑎𝑙𝑎𝑟𝑖𝑒́ 𝑜𝑟𝑑𝑖𝑛𝑎𝑖𝑟𝑒 𝑑’𝑖𝑛𝑐𝑖𝑡𝑒𝑟 𝑙𝑒𝑠 𝑎𝑢𝑡𝑟𝑒𝑠 𝑠𝑎𝑙𝑎𝑟𝑖𝑒́𝑠 𝑎̀ 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑐𝑖𝑝𝑒𝑟 𝑎̀ 𝑢𝑛𝑒 𝑔𝑟𝑒̀𝑣𝑒 constitue une faute disciplinaire justifiant un licenciement ?
Par un premier 𝖺𝗋𝗋𝖾̂𝗍 𝖽𝗎 𝟧 𝗃𝗎𝗂𝗅𝗅𝖾𝗍 𝟤𝟢𝟣𝟪, la Cour de cassation avait déjà répondu par la négative en cassant la décision d’une cour d’appel qui avait refusé d’annuler les licenciements de salariés ayant demandé à leurs collègues de se mettre en grève.
Par cette décision, la Cour de cassation appliquait donc la protection liée à l’exercice de la grève, à des salariés ayant incité d’autres salariés à déclencher une grève qui n’avait finalement pas eu lieu, et qui était envisagée en soutien à un mouvement concernant un autre établissement de l’entreprise.
En jugeant que 𝑙𝑎 𝑛𝑢𝑙𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑢 𝑙𝑖𝑐𝑒𝑛𝑐𝑖𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑛’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑙𝑖𝑚𝑖𝑡𝑒́𝑒 au cas où le licenciement est prononcé pour avoir participé à une grève, mais qu’il s 𝑒́𝑡𝑒𝑛𝑑 𝑎̀ 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑙𝑖𝑐𝑒𝑛𝑐𝑖𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑝𝑟𝑜𝑛𝑜𝑛𝑐𝑒́ 𝑎̀ 𝑟𝑎𝑖𝑠𝑜𝑛 𝑑’𝑢𝑛 𝑓𝑎𝑖𝑡 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑖𝑠 𝑎𝑢 𝑐𝑜𝑢𝑟𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑔𝑟𝑒̀𝑣𝑒 et qui ne relèverait pas de la faute lourde, la Cour de cassation retenait une application particulièrement extensive de l’article L. 2517-1.
Par une décision du 𝟤𝟥 𝗇𝗈𝗏𝖾𝗆𝖻𝗋𝖾 𝟤𝟢𝟤𝟤, la Cour de cassation vient de confirmer et de préciser sa position en appliquant la même solution dans une situation où un salarié s’était vu licencié pour avoir incité les membres de son équipe à participer à une grève qui n’avait finalement pas eu lieu.
Là encore, et malgré l’absence de toute grève, la Cour de cassation a considéré que les faits reprochés au salarié avaient été commis à l’occasion de l’exercice du droit de grève, ce qui entraînait donc sa nullité en l’absence de faute lourde pouvant être imputée au salarié.
La réponse de la Cour de cassation est particulièrement claire : un salarié, même non titulaire d’un mandat, 𝑝𝑒𝑢𝑡 𝑑𝑜𝑛𝑐 𝑝𝑎𝑟𝑓𝑎𝑖𝑡𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑎𝑝𝑝𝑒𝑙𝑒𝑟 𝑎̀ 𝑢𝑛 𝑚𝑜𝑢𝑣𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑟𝑒́𝑔𝑢𝑙𝑖𝑒𝑟 𝑑𝑒 𝑔𝑟𝑒̀𝑣𝑒 et donc a fortiori relayer un mot d’ordre national en incitant ses collègues à rejoindre le mouvement, sans qu’aucune sanction ne puisse être prise à son égard.